C’est pas moi, c’est l’antidépresseur !

Visuel d'un ado généré par Midjourney pour Association Bicycle

Oui on en est là aujourd’hui : au stade cours de récréation ! A accuser des cachets dans une boîte jusqu’à en occulter totalement les prescripteurs et sans s’interroger sur les méthodes de commercialisation qui se cachent derrière les produits de santé !

C’est simple, en général c’est la faute soit du « fou » soit du médicament rarement celle du « sachant » protégé par son sérail…
Voilà donc les ficelles d’un fiasco annoncé ou comment avoir bonne conscience quand on est persuadé de détenir la vérité absolue ! 

À la suite du suicide d’un adolescent de 16 ans et d’un jeune de 20 ans, les antidépresseurs sont dans le collimateur de la justice titre cet article de France Info : 

ENQUETE. Les antidépresseurs dans le collimateur de la justice après le suicide d’un adolescent (francetvinfo.fr)

L’article met l’accent sur le danger des antidépresseurs de plus en plus prescrits en particulier chez les jeunes et qui seraient directement responsables de plus en plus de passages à l’acte suicidaire. 
 Comme l’avait été, il y a quelques mois,  le rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (qui est d’ailleurs cité dans l’article),  nous jugeons cet article alarmiste et mal renseigné. En effet,  il ne permet pas de comprendre les tenants et aboutissants de la prescription des antidépresseurs chez les jeunes et encore moins leurs conséquences.
Rappelons que les médicaments chez les jeunes ne sont pas trop prescrits  mais sont beaucoup trop mal prescrits, nuance ! Ainsi aujourd’hui quels que soient les troubles du comportement rapportés, les enfants sont traités avec les mêmes médicaments. Le plus souvent ils « tassent » mais parfois  ils font « flamber » les symptômes.

Ainsi dans cet article à aucun moment n’est évoquée la possibilité d’un virage maniaque sous antidépresseur qui est pourtant un effet connu et courant de l’antidépresseur prescrit seul sans protection par un thymorégulateur sur une personne souffrant de troubles bipolaires. Le risque suicidaire est alors particulièrement majoré. 
En général, cet effet de l’antidépresseur suffit même à poser un diagnostic de troubles bipolaires.
Les pédopsychiatres Thierry Delcourt, Mario Speranza ou encore Bruno Falissard  qui réagissent au suicide de l’adolescent de 16 ans se bornent à ce constat : la prise d’antidépresseur chez les jeunes majore le risque suicidaire.
Alors même que les parents rapportent des éléments qui évoquent une élévation de l’humeur manifeste : « Il n’avait plus aucune limite. Il s’est mis à jouer à des jeux d’argent. Tout est parti dans les jeux de foot. Il arrivait à nous faire peur. Il se fâchait contre nous. Tout d’un coup, il faisait une crise, déchirait un poster, cassait des trucs dans la maison, son téléphone par exemple. Il rigolait. Il faisait des plans pour le week-end avec ses copains. »

Comme le rappelle le CTAH (Centre des Troubles Anxieux et de l’Humeur) sur son site dans un dossier consacré à la dépression bipolaire (https://ctah.eu/dossier-depression-bipolaire.php?r=1212) :

« On oublie souvent de rappeler que la dépression est la manifestation clinique la plus dominante dans les troubles bipolaires et de ce fait la plus handicapante. »

De plus d’après de nombreuses études près de la moitié des personnes dépressives seraient en réalité bipolaires. Le véritable défi pour les experts est donc de différencier la dépression bipolaire et la dépression unipolaire. 
Et de préciser que « Le clinicien doit rester vigilant quand il décide de prescrire un antidépresseur pour soigner une dépression ; mais avant de prescrire, il y a une nécessité de dépister systématiquement les indices de bipolarité (hypomanie, cyclothymie, histoire familiale de bipolarité…) et d’examiner de près la nature de l’épisode dépressif (chercher la mixité de l’épisode dépressif). »
Quand un enfant ou un adolescent fait une dépression il a 50% de risque de présenter de ce fait une bipolarité juvénile.

La HAS (Haute Autorité de Santé) le  mentionne également dans ses préconisations sur son site :

« Devant tout épisode dépressif, il est recommandé de rechercher des arguments en faveur d’un trouble bipolaire. Il est important de différencier les troubles bipolaires d’un épisode dépressif caractérisé isolé ou récurrent car le traitement et la prise en charge ne sont pas les mêmes. »

En clair pour une dépression unipolaire on utilisera effectivement un antidépresseur mais pour une dépression bipolaire c’est plutôt un thymorégulateur qui sera le traitement de référence auquel on pourra éventuellement ajouter un antidépresseur car le thymorégulateur viendra protéger le patient d’un éventuel virage de l’humeur qui pourrait être induit par l’antidépresseur.
Rappelons aussi qu’en cas de troubles psychiques, un travail thérapeutique doit toujours être proposé en première intention en particulier chez les enfants et même quand la médication est nécessaire, il doit être maintenu en parallèle.
Une partie est plus spécialement dédiée aux adolescents où il est mentionné que :

« Les adolescents souffrant d’un épisode dépressif et présentant un antécédent familial de trouble bipolaire requièrent une surveillance accrue. »

Pourquoi ? 

Parce que la bipolarité même si elle n’est pas héréditaire présente une forte vulnérabilité génétique. Concrètement cela signifie que l’enfant sera plus à risque de développer un trouble bipolaire et qu’un épisode dépressif devra être surveillé de près pour éviter justement des prescriptions non adaptées qui pourraient mettre sa vie en danger comme expliqué  plus haut.
Or dans 90% des cas qui nous sont rapportés à l’association, l’histoire familiale n’est jamais explorée, pire elle est balayée d’un revers de main par les professionnels de santé quand elle est évoquée par les parents. Du fait du retard de diagnostic de ce trouble et de sa méconnaissance, nous conseillons d’élargir la question sur les antécédents familiaux à la dépression, les addictions, les tentatives de suicide et aux personnes originales ou marginales.
Enfin la HAS précise même la nature des symptômes dépressifs chez les jeunes  « Le tableau clinique de l’épisode dépressif à l’adolescence est proche de celui de l’adulte avec quelques particularités : l’irritabilité, l’agressivité, un trouble des conduites, des plaintes somatiques peuvent être au premier plan ».
En effet chez l’enfant comme chez les adolescents, le fait que le cerveau soit en développement n’empêche pas la survenue d’un trouble psychique mais en modifie son expression. Pour cette raison les critères diagnostiques de l’adulte ne s’appliquent pas chez les jeunes ou doivent à minima être adaptés.

L’extrait du rapport d’expertise de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille en date du 16 octobre 2023 précise que l’antidépresseur en question, le Deroxat,  comporte un risque accru de desinhibition et de passages à l’acte suicidaire et que ce risque suicidaire doublerait chez les moins de 25 ans.
C’est justement dans cette tranche d’âge que la bipolarité est encore moins investiguée du fait de la controverse qui existe encore aujourd’hui sur le diagnostic précoce.
Il est intéressant de constater que les enfants suicidaires ont été sortis de l’étude avec la mention « labilité émotionnelle ». La labilité émotionnelle correspondant à une série de changements d’humeur avec une instabilité émotionnelle importante.

Le psychiatre et lanceur d’alerte sur les effets indésirables graves des antidépresseurs, David Healy, souligne néanmoins à propos du jeune de 20 ans  « à chaque fois que le psychiatre de Romain a augmenté sa dose d’antidépresseur, son état s’est aggravé. Jusqu’à ce qu’il se tue. Il est donc inconcevable que ce ne soit pas le médicament à l’origine du problème »
Cette remarque est intéressante car à l’association quand un enfant se voit prescrire un antidépresseur et que les parents soupçonnent une bipolarité juvénile ou qu’elle est confirmée par la suite, on observe 3 réactions différentes :

 
– l’antidépresseur n’a aucun effet
ou
– l’antidépresseur a un effet rapide (qui annonce un virage maniaque)
ou
– l’antidépresseur a un effet positif suivi par un épuisement de cet effet dans le temps


Dans ce dernier cas au lieu d’analyser la situation l’antidépresseur est souvent augmenté par le médecin utilisant l’argument qu’il a fonctionné précédemment. Ce qui conduit très souvent alors à la situation décrite par le Dr David Healy c’est-à-dire une aggravation des symptômes avec mise en danger.
Encore une fois , ici, on se limite à une observation, l’éventualité d’une erreur diagnostic n’est même pas évoquée…

L’article préfère s’attarder à faire du sensationnel pour les non-initiés : le médicament a été prescrit hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) !  La belle affaire !  La prescription hors AMM en pédopsychiatrie est très courante, c’est même souvent la règle, la France s’acharnant à ne pas reconnaitre l’existence de troubles psychiques chez les moins de 15 ans et 3 mois…

Cela n’est pas sans rappeler ces dernières années le scandale de la Depakine. Ne prend-t-on pas le problème à l’envers ? 


Et si le vrai problème n’était pas le médicament en lui-même mais l’usage qui en est fait ?


Le médicament n’étant finalement qu’un simple outil dans la mallette des soignants et pas une fin en soi.

Ne serait-ce pas aux troubles psychiques plutôt qu’aux médicaments de bénéficier d’une meilleure information aussi bien auprès des professionnels de la santé que du grand public ?
Dans cette équation complexe, n’oublions pas le lobbying pharmaceutique qui a largement sa part de responsabilité en incitant parfois massivement à la prescription de molécules qui ne sont pas toujours nécessaires. Vous pouvez d’ailleurs consulter tous les conflits d’intérêt des médecins qui doivent obligatoirement être déclarés sur cette page : Accueil — Transparence Santé (sante.gouv.fr)

Quand on voit des enfants dont certains professionnels affirment qu’ils ne sont pas malades et qui se voient malgré tout prescrire des cocktails de médicaments cela a de quoi interroger…

 
Pour illustrer notre propos nous vous partageons le message reçu ce jour d’une maman d’un petit garçon âgé de 10 ans :

« Voici ce que mon fils a essayé depuis l’âge de ses 5 ans :


– Risperdal
– Ritaline
– Abilify
– Strattera
– Quetiapine
– Tercian
– Neuleptil
– Nozinan
– Concerta
– Quetiapine
– Aripiprazole
– Solian
– Sertraline

 
Antécédents familiaux : 
 

– le grand père maternel a toujours été sujet à la dépression, à l’impulsivité (insultes faciles, achats de voitures de luxe sur un coup de tête, alcoolisme. )
– l’arrière grand mère maternelle sujette à la dépression
– l’arrière arrière grand mère connue pour son alcoolisme et sa « méchanceté »
– l’arrière grand père paternel avait une sœur qui a fait plusieurs tentatives de suicide et qui est persuadée d’appartenir à une famille princière


et les diagnostics :


– 4 ans : anxiété sociale
– 5 ans : troubles de l’attachement
– 5 ans et demi : dépression
– 6 ans : TSA type asperger + TDAH
– 9 ans : les psychiatres émettent l’idée d’un Syndrome de Gilles de La Tourette en plus, certains évoquent des troubles psychotiques de type paranoïaque.

– 10 ans dans quelques jours : évocation par la famille d’une BPJ et bon accueil de l’équipe médicale… »

Plutôt que de s’efforcer à trouver des fautifs, si chacun prenait ses responsabilités et que nous cherchions ensemble des solutions pour que nos enfants restent tout simplement vivants et en bonne santé ?

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©Image d'illustration générée par MidJourney pour Association Bicycle