Troisième film français sur la bipolarité en 3 ans après « Les Intranquilles » et « Le livre des solutions », je n’étais pas tout à fait tranquille quand la sortie de « La vie de la mère » a été annoncée, me demandant si on allait enfin trouver des solutions pour parler des troubles bipolaires et non plus de la seule psychose maniaco-dépressive qui a disparu du DSM depuis plus de 40 ans mais visiblement pas des écrans…
Et bim dès les premières scènes du film, un sentiment de malaisance m’envahit… Agnès Jaoui alias Judith surjoue une bipolaire en phase maniaque qui vient de s’évader de sa clinique psychiatrique… Mais je m’accroche, car j’ai envie d’y croire. Je me surprends à lui chercher des circonstances atténuantes : peut-être est-ce lié au combo explosif de mère juive excessive qu’elle doit également incarner pour ce rôle ?
Et puis non, finalement sans surprise, le couperet tombe : on parlera donc ici encore une fois de la bipolarité typique et caricaturale de l’adulte.
Pierre, 33 ans, est fleuriste et voit ressurgir dans sa vie sa mère Judith qu’il n’a pas vu depuis qu’elle est internée dans une clinique psychiatrique pour ses troubles bipolaires, il y a 2 ans.
La relation mère-fils est brisée depuis longtemps. A travers les non-dits, on devine un passif lourd et un amour qui s’est étiolé à force de crises à répétition. Pierre n’a donc qu’une hâte : ramener sa mère à la clinique au plus vite pour reprendre le cours de sa vie.
La seule chose qui semble encore les lier, et que Judith a transmise à son fils, est leur passion commune pour les fleurs.
Le scénario lui aussi très attendu n’hésite pas à utiliser des métaphores plus que grossières :
Judith est hospitalisée dans une clinique au nom pour le moins évocateur pour prendre en charge ceux qui touchent le fond : « Les Rivages » … Les fleurs, tour à tour fanées ou fraîches, permettent d’illustrer les différentes émotions traversées par Judith. Pour l’instabilité, le choix s’est porté sur une girouette filmée lors d’un plan prolongé…
Mais le plus gênant n’est pas la représentation typique de la bipolarité car cette forme même si elle n’est pas la plus courante existe bel et bien et, avouons-le, c’est de loin la plus cinématographique mais le portrait qui est brossé de la personne atteinte de troubles bipolaires. Agnès Jaoui incarne ici une femme très enfantine voire naïve pour ne pas dire carrément simplette et surtout infantilisée et privée de liberté. Elle semble alors être condamnée (à perpétuité ?) à être internée dans une clinique psychiatrique assommée de médicaments pour y faire des scoubidous à longueur de journée. Le tout entourée d’autres « fous » de son espèce et sans pouvoir ouvrir la fenêtre…
Perspectives peu réjouissantes avouons-le et à mille lieux des campagnes de déstigmatisation actuelles sur la bipolarité et de la réalité de la maladie.
Cependant le fait que Judith n’ait pas de filtre lui permet d’oser et d’exprimer sans pudeur ses émotions. Cela contribue grandement à rendre son personnage touchant et attachant et finalement plus ancré dans la réalité qu’il n’y parait. Le barman soulignera la chance de Pierre d’avoir une mère qui est « une vraie gentille », paradoxe que les aidants ont tendance à oublier tant ils sont malmenés aussi par les montagnes russes de la maladie.
On regrette alors d’autant plus de la voir se faner dans une clinique…
Ce film illustre néanmoins bien le déni de l’entourage confronté à la bipolarité d’un proche. L’entretien de Pierre avec la psychiatre de sa mère représente un tournant décisif dans le film. Celle-ci explique à Pierre qu’avec son soutien sa mère peut aller beaucoup mieux. C’est à ce moment-là que Pierre -qui nesemble pas faire beaucoup d’efforts depuis le début du film- baisse la garde et nous réconcilie avec son personnage magnifiquement interprété par William Lebghil. Si Pierre est sur la défensive, c’est qu’il est avant tout un homme traumatisé par les épreuves traversées avec sa mère et terrorisé à l’idée de développer la maladie à son tour.
Ce passage met alors le doigt sur un point important : le rôle essentiel de l’entourage dans le rétablissement du malade et la nécessité de se faire accompagner pour y parvenir. Au-delà de la simple obsession de la prise des médicaments, on peut apprendre à mieux comprendre son proche et l’encourager à devenir acteur de sa maladie afin qu’il puisse lui aussi reprendre le cours de sa vie.
Le bouquet final est prévisible et Julien Carpentier signe donc ici une très bonne comédie à l’eau de rose servie par une excellente distribution mais certainement pas un film sur la bipolarité.