La bipolarité ça débute quand ?

🔴 Rappels utiles sur ce que nous dit la science : 

➡️Les études rétrospectives ont mis en évidence que 20 à 40% des adultes bipolaires font remonter le début de leurs troubles à la période de leur enfance.

➡️Les études prospectives, s’intéressant au devenir d’enfants prépubères ayant présenté un épisode dépressif caractérisé, ont montré qu’il s’agissait dans un tiers des cas, de l’épisode initial d’un trouble bipolaire, dont le premier accès (hypo)maniaque apparaîtra en général dans les quatre années suivantes.

➡️étude de Baldessarini de 2012 :

Portant sur 1665 adultes avec un trouble bipolaire de type 1. Il est retrouvé un âge de début de 5% dans l’enfance (<12 ans), 28% dans l’adolescence (12-18 ans) et 53% avec un pic entre 15 et 25 ans.

Dans les formes juvéniles (<12 ans) versus l’adolescence, il est retrouvé plus de récurrence (nombre d’épisodes par an), plus de comorbidité psychiatrique, davantage d’antécédents familiaux de trouble bipolaire.

Cette étude confirme les liens entre antécédents familiaux de trouble bipolaire et mauvais fonctionnement avec un âge de début précoce de bipolarité (pendant l’enfance).

➡️ La méta-analyse de Van Meyer de 2019 retient les chiffres de 0,6% pour la bipolarité de type 1 et de 3,9% pour l’ensemble du spectre bipolaire chez les enfants et les adolescents. 

➡️ La bipolarité chez l’enfant et l’adolescent n’est pas une maladie rare. En effet selon Orphanet, une maladie est dite rare si elle ne touche pas plus d’une personne sur 2000 dans la population européenne soit 0,05% des européens. On est donc loin des chiffres cités plus haut. 

➡️Une autre méta-analyse de Marco Solmi et al. en date de 2022 portant sur l’âge de début des troubles psychiatriques a aussi retrouvé que dans 31% des cas de trouble bipolaire, les premiers symptômes francs se manifesteraient dès l’enfance ou l’adolescence. Pourtant, dans cette même étude, seuls 2,7% des patients avaient un diagnostic de trouble bipolaire posé avant 18 ans.

L’évolution ne doit JAMAIS être un prétexte au refus de soins et au diagnostic ! 

N'oublions pas que l'annonce du diagnostic médical est une obligation déontologique.

 

Il faut quoi de plus pour que les pédopsychiatres se réveillent et arrêtent de dire comme on l’a entendu plusieurs fois encore cette semaine « la bipolarité ? c’est une maladie de l’adulte, il n’a pas 18 ans, on ne peut rien faire » ou bien encore devant un jeune avec des idées suicidaires +++ : « tant qu’il n’y a pas de passage à l’acte on ne peut rien faire »…

Arrêtez de nous rebattre les oreilles avec l’évolution et de l’opposer au diagnostic. Le suicide a souvent lieu bien avant la révélation du diagnostic ! 
L’évolution est utile pour mieux comprendre les symptômes de la bipolarité chez l’enfant. En effet du fait de l’immaturité du cerveau, les symptômes sont différents par rapport aux adultes. 
Et bien sûr, du fait de la perspective développementale, rien n’est définitif chez l’enfant et le diagnostic devra être réévalué jusqu’à l’âge adulte. 

Mais l’évolution de doit JAMAIS être un prétexte au refus de soins et au diagnostic ! N’oublions pas que l’annonce du diagnostic médical est une obligation déontologique. Elle a par ailleurs l’intérêt pour l’enfant et sa famille de permettre une meilleure reconnaissance des symptômes du trouble et une meilleure compréhension des traitements qui seront proposés dans un second temps. De plus ces informations permettront de favoriser l’observance et l’alliance thérapeutique.

Sous couvert d’évolution, deux autres affirmations sont souvent retrouvées chez les professionnels de santé qui refusent de poser un diagnostic de bipolarité chez l’enfant : 

– L’absence de diagnostic n’empêche pas de traiter les symptômes.

Cette réponse n’est pas acceptable car cela signifie qu’on ne va traiter que les symptômes.  
Le risque sera alors d’exposer l’enfant à un cocktail de médicaments (un par symptôme) avec des médicaments non adaptés voire dangereux selon l’origine de ces symptômes.
Car oui ces enfants sont tellement dysfonctionnels qu’ils seront inévitablement exposés à une médication.
Quant à la prise en charge psychologique, une psychoéducation ciblée sera toujours plus efficace que des conseils généraux. 

– Il ne faut pas « enfermer » l’enfant dans un diagnostic, lui coller une étiquette.

Cette réponse n’est pas une réponse médicale et est fondée sur les préjugées. Le diagnostic ne doit jamais être considéré comme une étiquette, il permet de comprendre et d’avoir des solutions grâce à une prise en charge adaptée. 
C’est en éludant un diagnostic médical qu’il devient stigmatisant.
À l’inverse c’est en informant, communiquant, éduquant qu’on changera la perception et la représentation du diagnostic de bipolarité par le grand public. Ce qui est toujours discriminant c’est une différence qui ne dit pas son nom.
Dans la balance bénéfices/risques, il vaut mieux être victime de fausses idées sur la bipolarité que d’une mort réelle. 
Parmi nos familles, le discours est pourtant unanime : le diagnostic leur a permis de retrouver la liberté.
Et quoi qu’il arrive, si l’évolution n’est pas favorable, il faut réévaluer et cela avec ou sans diagnostic ! 

La psychiatrie sauve des vies, on aimerait aussi que ce soit le cas pour la pédopsychiatrie ! 

[Et merci à tous les pédopsychiatres, psychiatres et professeurs (de plus en plus nombreux) qui nous soutiennent 🙏]

Merci à Pauline pour ce témoignage important paru dans le Monde du 09/02/2025 avec pour titre « Quand j’ai appris ma bipolarité, j’ai pleuré de joie de savoir enfin ce qui m’arrivait » et qui nous a inspiré cet article. 
À la lecture du titre de cet article une autre réflexion nous vient alors :
est-ce au médecin de choisir de poser un diagnostic ou au patient de choisir s’il veut l’entendre ?  

A l’heure où on parle de plus en plus du patient-acteur, il s’agit plus que jamais d’une question d’actualité.
Et si après le patriarcat il était temps de sortir du paternalisme médical ?

Extraits : 

« La première fois qu’un professionnel de santé émet l’hypothèse d’un trouble bipolaire me concernant, j’ai 26 ans et cela fait des années que je vis avec des phases extrêmes de l’humeur. Les difficultés remontent à loin, depuis toute gamine. Ma mère m’a toujours dit que, quand je descendais l’escalier le matin, elle se demandait quelle Pauline elle aurait face à elle, que je pouvais avoir un côté « ange ou démon ». Je garde peu de souvenirs de petite, mais je sais que j’avais du mal avec la gestion de ma colère, et que je dormais très peu. Au collège et au lycée, c’était difficile. Je n’avais pas de mots à l’époque, mais avec le recul je me dis que je traversais déjà des épisodes hypomaniaques (l’une des phases ascendantes du trouble de l’humeur), durant lesquelles je me mettais en danger. J’ai commencé à fumer de la drogue dès la 3e, ce qui générait des crises intenses de paranoïa et de peur de la mort. Je faisais souvent le mur dans mon village. J’ai commencé à vivre de grandes phases dépressives à partir de la 5e.
Tout était constamment un drame, sous couvert de crise d’ado pour mes
parents. J’étais beaucoup en confrontation avec les enseignants, mais à l’école, je restais une très bonne élève. Ma mère se disait que j’étais certainement HPI (Haut Potentiel Intellectue)] et que cela expliquait mes sautes d’humeur et mon rapport conflictuel aux professeurs. A l’époque, je n’avais jamais entendu parler de bipolarité et je n’aurais pu faire le lien. Mon seul contact avec la question de la santé mentale avait pris la forme de discussions avec ma demi-sœur, qui avait été diagnostiquée schizophrène, tout comme mon oncle. Ensemble, on parlait surtout de dépression, car c’était ce que je pensais vivre.

(…) Cela devient lourd pour mon entourage, car mes cycles sont alors très fréquents. Je peux me réveille certains matins complètement déprimée, puis, deux jours plus tard être en pleine phase hypomaniaque.

(…) Le poids des stéréotypes est toujours là. La bipolarité est encore très mal représentée à l’écran. Je ne me reconnais jamais dans les films ou les séries qui présentent des personnages bipolaires : moi je ne finis pas à l’hôpital tous les quatre matins, et je ne vais pas plonger dans la Seine toute nue. A un moment, je me suis même demandé si je l’étais vraiment, tellement cela ne collait pas avec les clichés. Il y a un immense travail à mener sur les représentations. »

 

Pour lire l’article du Monde dans son intégralité c’est par ici :

https://www.lemonde.fr/campus/article/2025/02/09/quand-j-ai-appris-ma-bipolarite-j-ai-pleure-de-joie-de-savoir-enfin-ce-qui-m-arrivait_6538430_4401467.html 

 

TDAH, bipolarité, quels impacts sur l’espérance de vie ?

Il n’aura fallu que quelques jours suite à la publication de l’étude des chercheurs de l’Université de Cambridge (Etats-Unis) dans le « British journal of psychiatry », pour voir fleurir sur la toile de nombreux articles la relayant et publiant en gros titres le lien entre diagnostic de TDAH et durée de vie. En effet selon cette étude, le diagnostic de Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité serait associé à une réduction de l’espérance de vie de près de sept ans pour les hommes et de près de neuf ans pour les femmes.

Analysons les données de plus près. 

L’objectif de cette étude était d’estimer le nombre moyen d’années de vie perdues chez les patients avec un diagnostic de TDAH, sur la base des données de mortalité toutes causes confondues chez les adultes britanniques entre 2000 et 2019. 

Il convient donc de nuancer ces résultats ou en tout cas ne pas omettre de préciser les réserves formulées afin de les rendre plus fidèles aux conclusions de leurs auteurs eux-mêmes.

En effet, les scientifiques ont découvert que les problèmes de santé physique et mentale étaient plus fréquents chez les personnes atteintes de TDAH. Mais le résultat de l’étude étant basé sur les décès toutes causes confondues, il n’est donc pas possible à partir de ces données d’attribuer ce risque de surmortalité précoce à la seule présence d’un TDAH. Cette surmortalité peut aussi être due à d’autres maladies mentales associées ou aux problèmes de santé physique.

La seule conclusion est que les personnes atteintes de TDAH sont plus susceptibles de recevoir un diagnostic de chacun des 13 problèmes médicaux examinés (diabète, hypertension, cholestérol, cardiopathie ischémique, maladie respiratoire chronique, épilepsie, dépression, maladie mentale grave, anxiété, automutilation/suicide, autisme, déficience intellectuelle, trouble de la personnalité) et d’être confrontés dans leurs habitudes de vie à davantage de tabagisme et de consommation excessive d’alcool.

 

Les chercheurs le précisent d’ailleurs explicitement : il est peu probable que le TDAH en lui-même soit la raison de l’écart d’espérance de vie, cela serait plutôt en lien avec une série de risques associés à ce trouble comme ceux cités plus haut. 

 

De plus ils ajoutent que « le manque de services spécialisés pour l’évaluation du TDAH chez l’adulte au Royaume-Uni signifie que les adultes diagnostiqués peuvent surreprésenter ceux qui ont des problèmes de santé mentale concomitants, ce qui les a amenés à être en contact avec des spécialistes qui ont diagnostiqué leur TDAH. Cela conduirait à une classification erronée de l’exposition différentielle : l’association entre ces conditions et une espérance de vie réduite pourrait fausser les résultats et conduire à une surestimation des années de vie perdues.

Étant donné que les critères de diagnostic du TDAH étaient plus stricts au moment du recrutement pour cette étude, les participants peuvent surreprésenter ceux qui ont des besoins de soutien plus importants, par rapport aux personnes qui répondent en moyenne aux critères actuels du TDAH ». 

Les personnes avec un TDAH sévère et donc avec plus d’autres maladies mentales seraient donc surreprésentés dans cette étude.

 

Kevin McConway, professeur émérite de statistiques appliquées à l’Open University au Royaume-Uni, qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré dans un communiqué que la recherche était « frappante » mais qu’elle « laissait de nombreuses questions importantes sans réponse » en précisant que la question la plus importante est de savoir ce que l’on peut faire à ce sujet.

Il a ajouté que cela dépendait de la question de savoir si le TDAH est à l’origine de la réduction de l’espérance de vie. Ce à quoi cette étude, aujourd’hui, ne peut pas donner de réponses. 

Les chercheurs de l’étude ont d’ailleurs conclu que parmi les solutions « outre le soutien spécifique au TDAH », on pourrait encourager « les approches visant à améliorer la sensibilisation aux problèmes de santé physique et mentale plus fréquents chez les personnes atteintes de TDAH » et « promouvoir un accès rapide à des services de soutien en santé mentale et de sevrage tabagique ». 

 

On pourrait donc avoir une lecture bien différente de cette étude en se demandant si les autres troubles psychiques sont suffisamment recherchés chez les patients ayant un TDAH et si cette négligence conduirait à une surmortalité de celui-ci d’autant plus qu’en cas de troubles bipolaires associés la médication pour le TDAH sans protection par un thymorégulateur peut entraîner un virage de l’humeur pouvant aller jusqu’au suicide !

 

Cette étude ne dit donc pas que le TDAH est un trouble qui augmente la mortalité. D’ailleurs en cas de tentatives de suicide ou d’idées suicidaires, le diagnostic devrait toujours être réévalué à la recherche d’un trouble psychiatrique associé qui pourrait mieux expliquer les difficultés rencontrées. 

 

Rappelons que cela fait même partie des critères diagnostiques du TDAH dans le DSM5 : 

« Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’une schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique et ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (ex. trouble thymique, trouble anxieux, trouble dissociatif, trouble de la personnalité, intoxication par une substance ou sevrage d’une substance.) »

 

A l’inverse, de nombreuses études ont prouvé que la bipolarité, elle, était mortelle.

 

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les troubles bipolaires figurent au 6ème rang mondial des handicaps. Les malades présentent une espérance de vie réduite de 10 ans en moyenne par rapport à la population générale. 

La Haute Autorité de Santé souligne également que le trouble bipolaire est l’une des pathologies psychiatriques les plus graves, qui conduit à des tentatives de suicide : 1 malade sur 2 fera au moins une tentative de suicide dans sa vie et 15 % décèderont par suicide. 

 

Enfin rappelons aussi que tous les critères du TDAH sont retrouvés dans la bipolarité mais que l’inverse n’est pas vrai. 

 

Cette précision est particulièrement importante dans le monde de la pédopsychiatrie où la majorité des médecins pensent que le TDAH est un trouble de l’enfance et que la bipolarité est une maladie de l’adulte. Ainsi la bipolarité chez l’enfant est toujours envisagée en dernier en particulier quand elle s’est déjà aggravée à la fin de l’adolescence. De plus, et c’est probablement ce qu’il faut retenir de cette étude, un TND n’exclut pas un trouble psychiatrique et inversement. Le diagnostic peut donc être différenciel mais aussi multiple. 

 

Évitons les raccourcis, les interprétations erronées ou le sensationnalisme qui favorisent les erreurs de diagnostic et les mises en danger en retardant l’accès à des soins adaptés.

Les personnes concernées en seront toujours les premières victimes ! Ne l’oublions pas : l’ignorance tue.

 

Seule une véritable démarche scientifique exempte de tout biais nous permettra réellement de faire avancer la cause de la santé mentale.

Ensemble restons attentifs !

 

Pour consulter l’étude dans son intégralité :

Life expectancy and years of life lost for adults with diagnosed ADHD in the UK: matched cohort study | The British Journal of Psychiatry | Cambridge Core

https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/life-expectancy-and-years-of-life-lost-for-adults-with-diagnosed-adhd-in-the-uk-matched-cohort-study/30B8B109DF2BB33CC51F72FD1C953739