Podcast RTL « SYMPTOMES », troubles bipolaires : le cas complexe d’une enfant de 12 ans
Comme cela est très bien dit en introduction de ce podcast : si la connaissance et la recherche progressent sur les troubles psychiques, les préjugés, eux, restent bien ancrés.
Nous rajouterons : y compris dans le milieu médical. En effet pour beaucoup trop de médecins encore, la bipolarité chez l’enfant n’existe pas !
C’est pourtant un sujet crucial et un enjeu de santé publique quand on sait qu’1 français sur 5 est concerné par les troubles psychiques !
Dans ce podcast « Symptômes » les médecins se confient sur ce patient pas comme les autres qui a marqué leur carrière.
Ici c’est le Dr Alicia Cohen, pédopsychiatre à l’hôpital Robert Debré à Paris, qui raconte l’arrivée aux urgences, un soir de Noël, d’une enfant de 12 ans et de sa maman.
Dès son arrivée le tableau clinique de la jeune fille est évocateur d’une bipolarité BP1. Parmi les symptômes typiques et caricaturaux on note des troubles du comportement +++, une fuite des idées, une logorrhée, des idées de grandeur (elle dit avoir des pouvoirs), une humeur très exaltée, des hallucinations acoustico-verbales, un syndrome délirant, une insomnie sans fatigue. Elle est agitée sur le plan moteur, elle tient des propos incohérents, elle parle toute seule dans les couloirs, danse, se déshabille et se prend pour Jésus.
De plus elle est violente avec sa maman qui note une rupture brutale avec son état de base. « C’est un coup de tonnerre dans un ciel serein » pour reprendre l’expression consacrée par les psychiatres. Son cycle de sommeil est inversé.
Le personnel des urgences est dépassé.
On vous laisse imaginer si des professionnels de santé sont dépassés ce que cela peut donner dans le huis-clos familial…
La pédopsychiatre Alicia Cohen insiste sur le fait qu’il faut absolument creuser dans les antécédents familiaux et personnels du patient pour donner des pistes de diagnostic. Ce travail d’investigation est nécessaire à la pose du bon diagnostic. Un minutieux travail d’interrogation sur le tempérament du patient et dans la famille est également indispensable. Il faut également rechercher des points d’appel d’un éventuel trouble du neuro-développement pour expliquer les troubles du comportement actuel. Même s’il n’y a pas forcement de lien direct, cela peut-être un facteur de risque. Le personnel médical est obligé de mener l’enquête.
Chez Bicycle nous constatons encore trop souvent que ce travail est rarement mené et les antécédents familiaux encore plus rarement évoqués ou vite balayés.
A noter cependant que ces symptômes très spécifiques sont rarement présents avant 15 ans et que l’investigation et l’expertise des médecins prennent alors tout leur sens pour ne pas passer à côté d’une bipolarité à début précoce.
Malgré son jeune âge, le diagnostic est sans appel pour l’équipe médicale. Cette accélération psychomotrice associée à des idées qui se bousculent dans sa tête avec des caractéristiques psychotiques liées à ses délires mystiques et à des voix qu’elle semble écouter, c’est typique d’un épisode maniaque et cela signe l’entrée dans la maladie bipolaire même si sa mère n’a jamais noté d’épisodes dépressifs.
Précisons que chez l’enfant les symptômes dépressifs sont souvent différents de chez l’adulte. L’irritabilité +++ est souvent au premier plan.
L’adolescente reçoit un premier traitement pour gérer l’épisode maniaque : un neuroleptique.
Elle répond bien à cette première ligne de traitement et les symptômes régressent progressivement mais un mois après l’équipe médicale assiste a une nouvelle recrudescence des symptômes. Les médecins décident alors d’augmenter le traitement car elle avait bien répondu à la prescription initiale et ils envisagent que la posologie ne soit peut-être pas adaptée. Mais l’amélioration n’est pas au rendez-vous malgré le recours complémentaire à une chambre d’isolation thérapeutique pour faciliter sa redescente. L’objectif de cette chambre est de permettre une isolation sur le plan sensoriel à la jeune patiente pour l’extraire du brouhaha permanent du service. Cela permet également d’éviter un traitement sédatif trop important. Malgré tout cette solution n’apporte pas les résultats escomptés.
Elle continue de se mettre en danger et met également en danger l’équipe. Sa violence explose et elle devient très difficile à gérer. Plusieurs infirmières sont en arrêt de travail suite aux coups qui redoublent. D’autant plus que sa force est décuplée dans ces moments-là.
Le personnel médical doit chaque jour canaliser la violence et est sous forte tension.
Imaginez les situations que doivent gérer nos familles pour palier le manque d’accès aux soins ou tout simplement par méconnaissance de ce trouble chez l’enfant… Si un enfant réussi à épuiser toute une équipe médicale qui veille sur lui jour et nuit, on vous laisse le transposer au sein d’une famille et imaginer l’enfer domestique…
Un nouveau neuroleptique est essayé avec une nouvelle molécule. De nouveau la jeune fille semble bien répondre au traitement. L’évolution est favorable même si des symptômes résiduels persistent. Malheureusement à 2 mois du premier épisode, il y a de nouveau une recrudescence des symptômes. Elle échappe encore à cette nouvelle molécule. A ce moment elle devient même agressive avec les médecins preuve que « toutes les barrières ont sauté » et que la situation est grave.
Note pour les professionnels : la plupart du temps quand les parents débarquent avec leur cyclokid sous le bras et que dans votre service il est sage comme une image ne remettez pas systématiquement en doute les parents. Croyez-les et investiguez ! C’est eux qui connaissent le mieux leur enfant et probablement que vous avez de la chance car les barrières n’ont pas encore toutes sauté et que vous pouvez encore agir avant une crise plus grave !
C’est seulement à ce moment-là que les médecins décident de passer à une bithérapie c’est-à-dire d’ajouter un thymorégulateur – ou régulateur de l’humeur- : du lithium. En conservant le neuroleptique pour la manie. Une prise en charge « ceinture et bretelles » d’après la pédopsychiatre.
Chez Bicycle nous constatons malheureusement que les neuroleptiques sont souvent donnés en première intention même en dehors d’un épisode maniaque caractérisé. D’après notre savoir experientiel ils ne sont souvent pas aussi efficace qu’un thymoregulateur classique sur le long terme (anti-epileptique, lithium).
L’adolescente répond une nouvelle fois favorablement au traitement et peut même intégrer l’école de l’hôpital où les retours sont positifs. En phase maniaque, il était bien évidemment impossible pour elle de se concentrer sur un cours.
En dehors des phases de décompensation où elle peut insulter et frapper l’équipe, elle se révèle être une jeune fille qui investit énormément sa prise en charge, avec qui les liens sont bons et qui a énormément d’humour et de culture. La maman dit « retrouver sa fille ».
Il n’y a bien sûr pas de meilleure récompense pour le service de pédopsychiatrie quand les parents disent enfin reconnaitre leur enfant !
Mais au 3ème mois d’hospitalisation, ça recommence…
L’équipe décide alors de conserver le lithium mais de changer une nouvelle fois de neuroleptique. L’adolescente tolère mal l’accumulation des traitements et présente alors un syndrome « extrapyramidal » c’est-à-dire que son corps supporte mal les molécules ingérées et elle présente de nombreux effets secondaires (vomissements, tremblements,…).
Les médecins s’interrogent : même si elle a bien répondu aux traitements jusqu’à présent, ils sont persuadés qu’ils sont passés à côté de quelque chose.
Mais quoi ? Qu’ont-ils raté ?
Ils finissent même à y penser en dehors de l’hôpital quand ils rentrent chez eux car les symptômes sont très intenses et tout peut arriver.
Cette remise en question par rapport aux réactions aux traitements et à l’évolution est essentielle. Elle n’est pourtant pas toujours envisagée. Et après plusieurs échecs thérapeutiques ou des traitements qui ne fonctionnent qu’un temps, il n’est pas rare de voir des professionnels conseiller l’éloignement familial comme dernière alternative.
Le « tilt » vient après la remarque anodine d’une infirmière : après chaque décompensation, elle a toujours ses règles.
Les infirmiers, comme les parents, ont accès à une intimité du patient, ils partagent tout le quotidien et leurs retours sont importants. Une coopération et une collaboration entre et avec tous les acteurs autour de l’enfant est indispensable. Savoir écouter, être attentif, cela va être décisif dans la prise en charge de la maladie.
À l’association on pense que le parent doit être considéré comme un co-thérapeute et plus que la cause du problème, il est souvent le début d’une solution.
Les médecins font alors le rapprochement que chaque nouvel épisode est effectivement déclenché par le syndrome pré-menstruel qui provoque une tempête hormonale.
Une pilule qui supprime les cycles menstruels est alors ajoutée au traitement et ça fonctionne !
Ne pas oublier de noter tous les éléments déclencheurs des crises ! On se rend souvent compte que ce sont toujours les mêmes qui reviennent : la faim, la chaleur, le bruit, le parfum de la maîtresse, les cousinades,… Ce qui permet ensuite de travailler dessus en amont.
Un second travail indispensable est alors mené par le Dr Alicia Cohen en parallèle du traitement médicamenteux : la psycho-éducation du patient et de sa famille. Comme le souligne la pédopsychiatre la bipolarité particulièrement nécessite un engagement de la part du patient et de sa famille dans les soins.
L’acceptation de la maladie est aussi indispensable.
L’éducation du patient et de son entourage est donc primordiale pour devenir expert de la maladie. Dans la bipolarité, la famille et le patient en l’occurrence ici l’enfant doivent absolument savoir gérer pour éviter la répétition des crises.
Le Dr Alicia Cohen précise également qu’il ne faut surtout pas interrompre le traitement, au moins pendant plusieurs années, car si la maladie est bien stabilisée elle peut perdre en intensité et à l’inverse les rechutes peuvent l’aggraver.
Pendant 1 an tout va bien. Et comme justement tout va bien c’est à ce moment-là que l’adolescente décide d’interrompre son traitement. Elle mettra plusieurs semaines avant de décompenser et de se présenter à l’hôpital avec un « moi, c’est Jésus ».
Bien sûr comme dit précédemment si tous les enfants souffrant de troubles bipolaires se présentaient à leur médecin en se prenant pour Jesus ce serait plus facile !
Une nouvelle décompensation n’est jamais anodine, c’est une de plus que le corps et le cerveau doivent supporter.
Depuis, l’adolescente est retournée au lycee, elle a retrouvé sa vie mais cette fois en étant tout à fait consciente de sa maladie.
Alicia Cohen conclut sur le fait que la qualité de la prise en charge du premier épisode va impacter la trajectoire du développement de l’enfant. La pédopsychiatre constate qu’il y a un vrai impact sur l’évolution de la maladie par rapport à la façon dont les premiers épisodes sont traités.
C’est tout l’enjeu du diagnostic précoce et la raison d’être de Bicycle.
Bien traités, bien suivis, ces enfants peuvent alors avoir une vie normale.
N’oublions jamais que la bipolarité est une des pathologies psychiatriques les plus graves car quand elle n’est pas prise en charge correctement elle peut mener à des tentatives de suicide.
Le Dr Alicia Cohen utilise cette métaphore : « C’est plus facile d’arrêter un train qui part de la gare que d’arrêter un train à pleine vitesse ».
Chez Bicycle notre objectif sera toujours d’avoir un train d’avance, le plus sûr moyen de raccrocher les wagons !