Cet article du journal Le Monde en date du 02/10/2024 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/10/02/sante-mentale-pourquoi-la-prescription-de-psychotropes-chez-les-jeunes-s-envole_6341710_3224.html
qui propose une excellente analyse sur la raison de la hausse de la prescription des psychotropes chez les jeunes (antidépresseurs,anxiolytiques, antipsychotiques, hypnotiques, thymorégulateurs confondus) nous a amené à nous interroger sur la place qu’occupe la bipolarité juvénile en pédopsychiatrie.
En effet, on constate « +60% de jeunes sont sous antidépresseurs, +38% sous antipsychotiques (prescrits pour la schizophrénie ou la bipolarité notamment) et +8% sont sous anxiolytiques ».
Ainsi, en 2023, 4137 jeunes de 12 à 15 ans et 4993 jeunes de 16 à 19 ans se sont vus délivrés une ordonnance de psychotropes.
Parmi les 5 hypothèses avancées on retrouve :
➡️la dégradation de la santé mentale des jeunes en particulier depuis le Covid
➡️la prise en charge trop tardive des troubles psychiques en raison d’un système de soins saturé par les besoins. L’aggravation des troubles sans prise en charge entraîne ainsi une hausse de la prescription des médicaments.
Jean-François Pujol, pédiatre précise « On ne va pas laisser un ado qui ne dort pas, qui a terriblement besoin d’apaisement, sans traitement. Ni un enfant qui lève la main sur ses camarades, sur ses parents, et qui est en souffrance comme toute sa famille, sans réponse thérapeutique. On finit parfois de guerre lasse, par donner un sédatif ou un neuroleptique, en attendant un rendez-vous dans un CMP ou chez une pédopsychiatre, qui viendra peut-être quelques semaines, quelques mois plus tard…au mieux. »
Même si, par ailleurs, il affirme qu’il s’est formé au cours de sa carrière et qu’aujourd’hui il est capable de mieux prescrire ces molécules.
Concernant ce point, et de part notre savoir expérienciel, nous pouvons également ajouter une méconnaissance de la bipolarité juvénile. Ainsi la bipolarité est prise en charge en fin d’adolescence ou au début de l’âge adulte quand les symptômes se sont aggravés et sont déjà devenus plus typiques en se rapprochant de ceux retrouvés chez les adultes.
➡️ la question sensible de la mauvaise prescription : antidépresseurs et anxyolitques VS psychothérapie. En effet la HAS (Haute Autorité de Santé) préconise « en première intention » de privilégier les psychothérapies.
Notons là encore que la difficulté d’accès aux soins est un frein pour beaucoup de familles : problèmes des déserts médicaux et de remboursements des séances.
➡️un meilleur repérage : peut-on parler d’un rattrapage du retard des diagnostics ? « Parvient-on à repérer plus précocement certains troubles ? Autrement dit, réussit-on à mieux détecter que par le passé certaines maladies mentales ? » s’interroge le journal.
Pauline Chaste, pédopsychiatre à l’hôpital Necker-Enfants malades souligne : « Il existait un important retard de diagnostic pour le trouble bipolaire et la schizophrénie ». Et d’ajouter une autre explication à la forte hausse des antipsychotiques : « Nous prescrivons aussi ces traitements à des jeunes qui n’ont ni troubles bipolaires ni schizophrénie, mais qui peuvent être impulsifs, se mettre en danger, multiplier les tentatives de suicide, et en avoir besoin, à court terme ».
➡️des jeunes qui se tournent plus facilement vers les soins d’autant plus parce que le panel des symptômes pris en charge s’est élargi : dépressions mais aussi troubles anxieux, phobies scolaires, TOCs, stress post-traumatiques, …
Rappelons tout de même à toutes fins utiles que la même HAS indique également dans ses recommandations :
✅ »Devant tout épisode dépressif, il est recommandé de rechercher des arguments en faveur d’un trouble bipolaire. Il est important de différencier les troubles bipolaires d’un épisode dépressif caractérisé isolé ou récurrent car le traitement et la prise en charge ne sont pas les mêmes. »
Certaines études avancent qu’un pourcentage important de personnes diagnostiquées dépressives seraient en fait bipolaires. Les erreurs de diagnostics pourraient expliquer une multiplication du nombre de psychotropes non adaptés et une augmentation de leur posologie mettant en danger la vie de nos jeunes.
✅ « Devant une tentative de suicide chez un adolescent ou un adulte jeune, il est nécessaire de rechercher un trouble bipolaire. »
✅ »Il faut donc évoquer un trouble bipolaire chez un adolescent ou un adulte jeune devant tout épisode dépressif, certaines pathologies psychiatriques (addictions, trouble des conduites, troubles anxieux), tout passage à l’acte suicidaire. »
Nous aimons l’optimisme de la pédopsychiatre qui utilise l’imparfait pour parler de la bipolarité juvénile. Si seulement ! Pourtant aujourd’hui on continue d’affirmer majoritairement que la bipolarité juvénile n’existe pas.
Pourquoi refuser de poser un diagnostic chez un jeune à qui on prescrit des thymorégulateurs « jusqu’à preuve du contraire » ? Nous insisterons toujours sur ce point : ne pas poser de diagnostic est une perte de chance pour le jeune car il entraine une mauvaise observance du traitement voire un refus de soins et prive toute la famille d’outils non médicamenteux comme une psychoéducation ciblée.
Voilà maintenant prés de 15 ans que nous œuvrons chaque jour pour faire connaître et reconnaitre la bipolarité juvénile !
Dans quelques années, on espère moins, on pourra sans doute dire, que nous avons été les pionniers dans ce domaine et que nous avons gravi notre « Everest » sans oxygène !
Dans tous les cas si nous n’avions qu’un souhait à formuler : ce serait celui de voir plein « d’ Inoxtag » prendre notre suite !