Il n’aura fallu que quelques jours suite à la publication de l’étude des chercheurs de l’Université de Cambridge (Etats-Unis) dans le « British journal of psychiatry », pour voir fleurir sur la toile de nombreux articles la relayant et publiant en gros titres le lien entre diagnostic de TDAH et durée de vie. En effet selon cette étude, le diagnostic de Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité serait associé à une réduction de l’espérance de vie de près de sept ans pour les hommes et de près de neuf ans pour les femmes.

Analysons les données de plus près. 

L’objectif de cette étude était d’estimer le nombre moyen d’années de vie perdues chez les patients avec un diagnostic de TDAH, sur la base des données de mortalité toutes causes confondues chez les adultes britanniques entre 2000 et 2019. 

Il convient donc de nuancer ces résultats ou en tout cas ne pas omettre de préciser les réserves formulées afin de les rendre plus fidèles aux conclusions de leurs auteurs eux-mêmes.

En effet, les scientifiques ont découvert que les problèmes de santé physique et mentale étaient plus fréquents chez les personnes atteintes de TDAH. Mais le résultat de l’étude étant basé sur les décès toutes causes confondues, il n’est donc pas possible à partir de ces données d’attribuer ce risque de surmortalité précoce à la seule présence d’un TDAH. Cette surmortalité peut aussi être due à d’autres maladies mentales associées ou aux problèmes de santé physique.

La seule conclusion est que les personnes atteintes de TDAH sont plus susceptibles de recevoir un diagnostic de chacun des 13 problèmes médicaux examinés (diabète, hypertension, cholestérol, cardiopathie ischémique, maladie respiratoire chronique, épilepsie, dépression, maladie mentale grave, anxiété, automutilation/suicide, autisme, déficience intellectuelle, trouble de la personnalité) et d’être confrontés dans leurs habitudes de vie à davantage de tabagisme et de consommation excessive d’alcool.

 

Les chercheurs le précisent d’ailleurs explicitement : il est peu probable que le TDAH en lui-même soit la raison de l’écart d’espérance de vie, cela serait plutôt en lien avec une série de risques associés à ce trouble comme ceux cités plus haut. 

 

De plus ils ajoutent que « le manque de services spécialisés pour l’évaluation du TDAH chez l’adulte au Royaume-Uni signifie que les adultes diagnostiqués peuvent surreprésenter ceux qui ont des problèmes de santé mentale concomitants, ce qui les a amenés à être en contact avec des spécialistes qui ont diagnostiqué leur TDAH. Cela conduirait à une classification erronée de l’exposition différentielle : l’association entre ces conditions et une espérance de vie réduite pourrait fausser les résultats et conduire à une surestimation des années de vie perdues.

Étant donné que les critères de diagnostic du TDAH étaient plus stricts au moment du recrutement pour cette étude, les participants peuvent surreprésenter ceux qui ont des besoins de soutien plus importants, par rapport aux personnes qui répondent en moyenne aux critères actuels du TDAH ». 

Les personnes avec un TDAH sévère et donc avec plus d’autres maladies mentales seraient donc surreprésentés dans cette étude.

 

Kevin McConway, professeur émérite de statistiques appliquées à l’Open University au Royaume-Uni, qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré dans un communiqué que la recherche était « frappante » mais qu’elle « laissait de nombreuses questions importantes sans réponse » en précisant que la question la plus importante est de savoir ce que l’on peut faire à ce sujet.

Il a ajouté que cela dépendait de la question de savoir si le TDAH est à l’origine de la réduction de l’espérance de vie. Ce à quoi cette étude, aujourd’hui, ne peut pas donner de réponses. 

Les chercheurs de l’étude ont d’ailleurs conclu que parmi les solutions « outre le soutien spécifique au TDAH », on pourrait encourager « les approches visant à améliorer la sensibilisation aux problèmes de santé physique et mentale plus fréquents chez les personnes atteintes de TDAH » et « promouvoir un accès rapide à des services de soutien en santé mentale et de sevrage tabagique ». 

 

On pourrait donc avoir une lecture bien différente de cette étude en se demandant si les autres troubles psychiques sont suffisamment recherchés chez les patients ayant un TDAH et si cette négligence conduirait à une surmortalité de celui-ci d’autant plus qu’en cas de troubles bipolaires associés la médication pour le TDAH sans protection par un thymorégulateur peut entraîner un virage de l’humeur pouvant aller jusqu’au suicide !

 

Cette étude ne dit donc pas que le TDAH est un trouble qui augmente la mortalité. D’ailleurs en cas de tentatives de suicide ou d’idées suicidaires, le diagnostic devrait toujours être réévalué à la recherche d’un trouble psychiatrique associé qui pourrait mieux expliquer les difficultés rencontrées. 

 

Rappelons que cela fait même partie des critères diagnostiques du TDAH dans le DSM5 : 

« Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’une schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique et ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (ex. trouble thymique, trouble anxieux, trouble dissociatif, trouble de la personnalité, intoxication par une substance ou sevrage d’une substance.) »

 

A l’inverse, de nombreuses études ont prouvé que la bipolarité, elle, était mortelle.

 

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les troubles bipolaires figurent au 6ème rang mondial des handicaps. Les malades présentent une espérance de vie réduite de 10 ans en moyenne par rapport à la population générale. 

La Haute Autorité de Santé souligne également que le trouble bipolaire est l’une des pathologies psychiatriques les plus graves, qui conduit à des tentatives de suicide : 1 malade sur 2 fera au moins une tentative de suicide dans sa vie et 15 % décèderont par suicide. 

 

Enfin rappelons aussi que tous les critères du TDAH sont retrouvés dans la bipolarité mais que l’inverse n’est pas vrai. 

 

Cette précision est particulièrement importante dans le monde de la pédopsychiatrie où la majorité des médecins pensent que le TDAH est un trouble de l’enfance et que la bipolarité est une maladie de l’adulte. Ainsi la bipolarité chez l’enfant est toujours envisagée en dernier en particulier quand elle s’est déjà aggravée à la fin de l’adolescence. De plus, et c’est probablement ce qu’il faut retenir de cette étude, un TND n’exclut pas un trouble psychiatrique et inversement. Le diagnostic peut donc être différenciel mais aussi multiple. 

 

Évitons les raccourcis, les interprétations erronées ou le sensationnalisme qui favorisent les erreurs de diagnostic et les mises en danger en retardant l’accès à des soins adaptés.

Les personnes concernées en seront toujours les premières victimes ! Ne l’oublions pas : l’ignorance tue.

 

Seule une véritable démarche scientifique exempte de tout biais nous permettra réellement de faire avancer la cause de la santé mentale.

Ensemble restons attentifs !

 

Pour consulter l’étude dans son intégralité :

Life expectancy and years of life lost for adults with diagnosed ADHD in the UK: matched cohort study | The British Journal of Psychiatry | Cambridge Core

https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/life-expectancy-and-years-of-life-lost-for-adults-with-diagnosed-adhd-in-the-uk-matched-cohort-study/30B8B109DF2BB33CC51F72FD1C953739 

 

Recommended Posts